Troisième et dernier volet d’une étude d’Armen Ayvazyan sur la politique arménienne et le droit international. L’expert en Sciences politiques dénonce l’inactivité (la passivité, le manque de réactivité) de la troisième république vis-à-vis des crimes anciens et récents d’Ankara et de Bakou commis sur les Arméniens.
Il critique l’option politique ’profil bas’ prise à des degrés divers par la diplomatie arménienne envers la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Bien que n’étant pas celle d’un juriste, son analyse du procès du meurtrier de Gourgen Markaryan à Budapest est convaincante, tout comme celle de l’affaire des Khatchkars de Djoulfa au Nakhitchevan.
Enfin, concernant les Arméniens du Djavakhk, il donne quelques références utiles en s’inspirant du cas de la région de Transylvanie peuplée en majorité de Hongrois, même si la Géorgie est loin de la Roumanie, membre de l’Union Européenne.
GB
Mis en ligne dans Armenian Resistance, Analyse, Arménie @en, Geographie
par Armen Ayvazian
II – Au niveau du droit international
Pour les parties précédentes de cette série, voir “Sobesednick Armenii/Hayastani Zrutsakits” 2010 r., N° 41 (159) N° 145 (163)
2. Le cas d’Arménocide et de Nettoyage Ethnique en Azerbaïdjan (1918-2010)
La première République d’Arménie (1918-1920) n’a eu ni le temps, ni la possibilité de préparer et engager un procès contre les organisateurs et auteurs du Génocide arménien. Malgré tout, la décision de les punir a été prise au cours de cette courte période, en octobre 1919, à Erevan, au IXème Congrès de la Fra Dachnagtsoutioun, le parti alors au pouvoir. Par contre, les dirigeants de la “Troisième” République d’Arménie (de 1991 à aujourd’hui) – absolument réfractaires à la compréhension au fond de la Question Arménienne et comptant sur une solution rapide des conflits du Karabagh et turco-arménien avec l’aide de la médiation internationale – ont tout simplement décidé de laisser de côté tout moyen de défense et de poursuites, autrement dit, le droit exclusif d’un état souverain de déférer devant une cour nationale ou internationale les organisateurs et les auteurs d’arménocide et de nettoyage ethnique en Azerbaïdjan, qui ont eu lieu en partie pendant la “Troisième” République. Les tentatives désespérées de chacun des trois présidents de la République d’Arménie pour apaiser le régime haineux pour les Arméniens, de Bakou et de ses parrains d’Ankara, n’ont abouti qu’à l’accélération de la préparation tous azimuts d’une nouvelle guerre contre l’Arménie, et aussi à l’intensification de la propagande anti-arménienne à la fois dans ce pays et internationalement. En conséquence, maintenant comme auparavant, il est possible de répondre comme il convient aux plans génocidaires du fascisme d’’état Azerbaïdjanais en engageant des procès contre lui, l’attraire devant un tribunal et le juger coupable d’arménocide (génocide), en commençant par les massacres d’Arméniens dans la République (Moussavat) d’Azerbaïdjan nouvellement créée, en particulier à Bakou (septembre 1918) et Chouchi (mars 1920), au nettoyage ethnique au Nakhitchevan (1918-1988), Soumgaït, Kirovabad, Bakou à nouveau, puis dans la plaine du Karabagh et au Haut-Karabagh (1988-1994). Ces actions auraient dû être décidées à Erevan depuis longtemps, cas par cas, et dans leurs plus petits détails, dans le cadre d’un tribunal constitué en République d’Arménie. En outre, les structures correspondantes en République d’Arménie et la diaspora auraient dû activement- juridiquement, financièrement et en termes d’organisation – contribuer à ouvrir des procès distincts pour Arménocide et nettoyage ethnique en Azerbaïdjan dans les tribunaux nationaux d’états étrangers par les victimes exilées de ces crimes, qui sont actuellement réfugiées dans différentes parties du monde. Rien de tout cela n’a été fait, mais il ne faut plus tarder, spécialement parce que l’Azerbaïdjan est en train de préparer une offensive internationale agressive à sa manière, basée sur des accusations forgées de toutes pièces. Une équipe spéciale chargée de recueillir les faits devrait être constituée de toute urgence, par un corps d’enquête compétent de la République d’Arménie, qui se chargera du travail de collecter et analyser les faits de crimes contre les Arméniens en Artsakh, au Nakhitchevan, dans les districts et villes de l’Azerbaïdjan pré-soviétique, soviétique et postsoviétique, et préparer cette énorme affaire pour être confiée à la justice. Le Nakhitchevan est un cas particulier, parce que selon le traité de Kars, article V, il est placé sous le protectorat de l’Azerbaïdjan , avec l’accord de la Turquie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, en sorte que l’Arménie est en meilleure position pour enquêter et dénoncer les fautes de l’administration soviétique et azerbaïdjanaise de ce territoire d’abord arménien et pour retirer son consentement au protectorat du fait du viol par l’Azerbaïdjan de ses engagements en droit international. Une équipe annexe chargée d’établir les faits devrait être constituée dans la République du Karabagh. Enfin, des procès devraient être faits dans la République d’Arménie et dans la République de Haut Karabagh, fondée sur tout l’arsenal des lois internationales modernes sur les crimes contre l’humanité. En outre, des experts de classe internationale devraient être engagés pour la préparation et la conduite de ces procès.
Défendre le droit à l’autodétermination des Arméniens en Artsakh et en même temps, négliger de soumettre à la justice les crimes de l’Azerbaïdjan contre l’humanité dans un tribunal était une erreur qui a grandement affaibli la position de la République d’Arménie et de la République du Haut-Karabagh du point de vue diplomatique. Une enquête particulière doit être faite pour dénoncer les fautes de l’Azerbaïdjan pour remplir ses obligations souveraines sur les populations arméniennes du Karabagh et du Nakhitchevan pendant la période soviétique, afin de démontrer qu’en plus du catalogue de ses crimes, l’Azerbaïdjan est incapable d’agir souverainement s’agissant des populations et des terres arméniennes. Les crimes contre l’humanité de l’Azerbaïdjan doivent être poursuivis devant une cour reconnue et au niveau des états, d’abord et avant tout dans la République d’Arménie indépendante, sans préjudice de toute action et jugement internationaux dans le futur. Si l’état indépendant arménien ne s’efforce pas de déclarer coupable les organisateurs et les auteurs de massacres, de pogroms, et de déportations forcées commis sur ses propres citoyens, c’est-à-dire n’essaie pas utiliser les moyens de droit contre les politiques de génocide contre son propre peuple, alors, des questions sérieuses se posent sur le niveau de sa souveraineté dans cet état, et sur le niveau de qualification et le système des valeurs de son élite politique.
Un exemple relativement récent de ce manque aigu de volonté politique et de compétence juridique de la part des autorités de la République d’Arménie est apparu à la suite de leur incapacité à donner une réponse adéquate à la criminalité barbare anti-arménienne de l’Azerbaïdjan, lorsqu’ un officier arménien a été assassiné à Budapest en février 2004 et à l’occasion des destructions à Joulfa (Nakhitchevan) de milliers de monuments irremplaçables de l’héritage culturel mondial et d’architecture moyenâgeuse – les Khatchkars (croix de pierre), les faits de leur démolition barbare étant filmés sur bande magnétique au cours d’un épisode de vandalisme en décembre 2005.
En outre, la partie lésée (la République d’Arménie) aurait dû caractériser le crime à Budapest pas simplement comme “crime aggravé” basé sur des “motifs ignobles” non qualifiés, comme en a jugé le tribunal de Budapest selon l’article 166 du code pénal hongrois (et trop vite accepté par la partie arménienne), mais comme un acte terroriste d’état motivé par la haine raciale et préparé par les forces spéciales azéries, avec la possible complicité de leurs collègues turcs (souvenons nous que l’assassin était diplômé de deux écoles militaires d’élite turques : de 1992 à 1996, il avait étudié à l’école militaire d’Istanbul, puis, de 1996 à 2000, à l’académie militaire turque). Un mois seulement après le meurtre de Gurgen Markaryan, et bien avant le début du procès de Budapest, j’avais proposé de demander la considération de strong evidence (preuve indiscutable) sur laquelle l’inculpé aurait pu être accusé de ce crime même, en insistant sur le fait que les preuves disponibles “fournissent une base solide à la partie arménienne avant l’audience pour évaluer cette qualification du meurtre, impliquant une préméditation et une préparation poussée de l’acte par les services spéciaux azerbaïdjanais, autrement dit, constituant une affaire de crime d’état.” (voir www.defacto.am, 29 mars 2004, “Novoye Vremya”, 30 mars 2004, en russe). L’insuffisance du jugement de Budapest, comme l’impunité du vandalisme azerbaïdjanais à Djoulfa sont des raisons parfaitement valables pour engager d’autres procès en Arménie et prononcer des peines par contumace pour les organisateurs et les auteurs de ces crimes. Dans une note s’y rapportant, j’aimerais mettre en évidence que les autorités de la République d’Arménie n’ont pas répondu convenablement à ces manifestations de barbarie d’arménophobie même d’un point de vue purement politique, continuant leurs réunions et leurs négociations avec les dirigeants fascistes du régime de Bakou comme si rien ne s’était passé, au lieu de- au moins temporairement- suspendre toutes relations et contacts avec eux ! Arrêt des négociations, nécessaire au moins pour le maintien de la dignité nationale et celle de l’état, aurait dû être, parmi d’autres choses, un outil puissant pour informer l’opinion publique internationale sur l’impossibilité du retour de l’Artsakh sous l’autorité azerbaïdjanaise, qui a élevé le racisme anti-arménien au niveau d’une idéologie d’état. Bien sûr, les procès in absentia sont relativement rares dans la jurisprudence de la justice internationale, parce que faits en l’absence de l’accusé, ils limitent les possibilités de le défendre. Mais cette forme de tribunaux est tout à fait courante lorsqu’il s’agit de juger des actes criminels graves ou très graves, et aussi quand pour une raisons ou pour une autre, les auteurs ne peuvent être attrapés et déférés devant la justice. C’est ainsi qu’en 1919 beaucoup de dirigeants jeunes turcs ont été condamnés par contumace par le Tribunal Militaire d’Istanbul. De même, de nombreux procès par contumace de criminels nazis ont été faits dans divers pays du monde. Au cours des seules années 2009-2010, 5 individus ont été convaincus de crimes de guerre nazie, trois par contumace en Italie et deux en Allemagne. La loi de la République d’Arménie concernant les crimes contre l’humanité et celle relative aux procédures d’organisation et de conduite de procès pour de tels crimes doit être réévaluée : même de nos jours, il existe des politiques génocidaires vis-à-vis de l’Arménie qui représentent un risque pour le peuple arménien. Et ce risque est d’autant plus grand que ces politiques sont sous-estimées au plan international et que ses auteurs, la Turquie et l’Azerbaïdjan, sont impunis. En outre, les décisions des procès par contumace tenus en Arménie devraient être transférées aux tribunaux internationaux, en tout ou en partie, et d’abord à la Cour Internationale de Justice des Nations Unies, ou à une cour spécialement créée à la Haye sur l’arménocide et le nettoyage ethnique en Azerbaïdjan. L’Arménie demandera une condamnation de l’Azerbaïdjan à des réparations matérielles et financières, et à des compensations morales, culturelles et en territoires, et à la restitution des territoires occupés de la République d’Arménie et du Haut-Karabagh.
3. Le Cas de Discrimination Ethnique de la Population Arménienne de Géorgie et les Droits des Arméniens du Javakhk Il est plus que temps que la protection des intérêts nationaux et des droits des Arméniens bafoués prennent la forme d’une pression du droit international sur les autorités géorgiennes. Cela s’applique spécialement aux droits inhérents aux Arméniens du Javakhk d’autonomie administrative et culturelle au sein de la Géorgie. Beaucoup d’exemples de politiques discriminatoires de Tbilissi dans les domaines linguistique, culturel, de l’éducation, démographique, religieux et administratif de la vie de cette région arménienne peut servir de base aux Arméniens du Djavakhk pour entreprendre des actions juridiques en Géorgie et devant les cours internationales pour eux-mêmes. Dans leur combat pour la préservation de leur nation, les Arméniens du Djavakhk sont en proie à une pénurie critique de leurs ressources professionnelles, financières et en organisation. La République d’Arménie et les organisations de la diaspora arménienne doivent à présent soutenir les Arméniens du Javakhk dans le domaine juridique, pour éviter d’en venir à un conflit armé dans un proche futur ou être confrontés au fait d’une “Nakhitchevanisation” (dé-arménisation) de ce territoire stratégiquement important. Il y a aussi des possibilités pour une action juridique internationale de la République d’Arménie pour la protection des droits et des intérêts de ses compatriotes au Javakhk. La base de cette pression sur les autorités géorgiennes peut-être les traités internationaux dans le cadre des Nations-Unies et du Conseil de L’Europe, signés et ratifiés par la Géorgie, y compris (la date de leur adhésion est donnée entre parenthèses) la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1991), la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques (1994), la Convention -Cadre du Conseil de l’Europe pour la Protection des Minorités Nationales (2005) etc. En même temps, il faut noter que les Arméniens du Djavakhk ne constituent pas une minorité au sens des conventions, parce qu’ils vivent dans leur patrie, la partie nord de la province historique arménienne du Gougark. La perte du Djavarkhk, sa dé-arménisation selon le scénario du Nakhitchevan (en cours, soit dit en passant, à grande vitesse), doit être exclue, sinon l’Arménie se retrouvera dans des complications géostratégiques catastrophiques, comparables uniquement à la perte de l’Artsakh. Les Arméniens du Djavakhk sont totalement dans leur droit pour déclarer leur autonomie sans en référer aux autorités de Tbilissi, comme pour donner à l’Arménien le statut de langue officielle à l’échelon régional, Il est utile de noter qu’il existe des précédents en Europe. Par exemple, le 5 septembre 2000, un congrès de représentants de gouvernements locaux de la région de Transylvanie en Roumanie peuplée de Hongrois, a déclaré la naissance de la Région Autonome du Székely (“Székely est le nom endonyme des Transylvaniens hongrois). La principale décision des participants au deuxième congrès de cette région autonome, tenue le 12 mars 2010, était de reconnaître le hongrois comme langue officielle à l’échelon régional. Et bien que le gouvernement central de Roumanie ne reconnaît pas la légalité des décisions des deux premiers congrès hongrois, l’auto-organisation des Transylvaniens hongrois par la création d’une autonomie et la promotion de la langue hongroise a nettement renforcé leur position en Transylvanie et a été un exemple de réussite de la politique résolue de la Hongrie pour protéger les droits et intérêts de leurs compatriotes à l’étranger.
Armen AYVAZYAN
Docteur en Sciences Politiques
Jean Eckian@armenews.com